Neurophysiologie de l'audition
Aire de Wernicke et langage
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L'aire de Wernicke, aire essentielle pour le langage, est généralement localisée dans le planum temporale du gyrus temporal supérieur de l'hémisphère gauche (en général, hémisphère cérébral dominant).
- L'aire de Wernicke. porte le nom du neurologue et psychiatre allemand, Carl Wernicke (1848-1905).
- L'aire de Wernicke est l'une des deux parties du cortex cérébral qui sont liées à la parole, l'autre étant l'aire de Broca (aires de Brodmann 44 et 45), située dans le lobe frontal.
Localisation exacte de l'aire de Wernicke
À l'heure actuelle, on donne à l'aire de Wernicke une définition plus anatomique que fonctionnelle. Plutôt que « la zone où se produit la compréhension du langage », affirmation sur laquelle nous reviendrons, la zone de Wernicke est devenue synonyme :
- de gyrus temporal supérieur postérieur gauche (pSTG), gyrus décrit par Wernicke dans son étude de départ ou aire de Brodmann 22 ;
- et de gyrus supramarginal gauche (aire de Brodmann : 40) appartenant au lobe pariétal, rajouté par des scientifiques postérieurement à l'étude de Wernicke (The Wernicke area Modern evidence and a reinterpretation 2015).
L'aire de Wernicke est située dans l'hémisphère cérébral dominant (hémisphère gauche chez environ 95% des droitiers et 60% des gauchers) : le planum temporale est l'une des régions les plus asymétriques du cerveau, cette zone étant jusqu'à dix fois plus grande dans l'hémisphère cérébral gauche que droite ( asymétrie du planum temporale).
Fonctions de l'aire de Wernicke
Auparavant, l'aire de Wernicke était considérée comme une aire essentielle impliquée dans la compréhension de la langue écrite et parlée (contrairement l'aire de Broca qui est impliquée dans la production du langage).
Toutefois, des études récentes montrent qu'elle joue peu ou pas de rôle dans la compréhension de la parole (The Wernicke area Modern evidence and a reinterpretation 2015).
Production de la parole
La production de la parole (speech production) est le processus par lequel les pensées sont traduites en parole.
1. Pour pouvoir parler, avant l'articulation des mots, i.e. qui demande des commandes motrices, on doit procéder à la récupération phonologique, i.e. l'activation d'une " représentation " phonologique ou image mentale des sons composant les mots.
- Ce processus permet d'activer les séquences des sons et des voyelles (phonèmes) qui forment le mot à prononcer.
Un phonème est la plus petite unité discrète ou distinctive (c'est-à-dire permettant de distinguer des mots les uns des autres) que l'on puisse isoler par segmentation dans la chaîne parlée.
- On peut l'objectiver en sachant, sans les prononcer, que " science " rime avec " conscience ", mais pas avec " ruine " pour reprendre le fameux proverbe de François Rabelais (« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme »).
Le gyrus temporal supérieur postérieur gauche (pSTG), le gyrus supramarginal gauche sont responsables de ce processus (Cerebral Localization of Impaired Phonological Retrieval During Rhyme Judgment 2014 et Segregation of Lexical and Sub-Lexical Reading Processes in the Left Perisylvian Cortex 2012).
2. Une perturbation partielle de ce processus de récupération phonologique pré-articulatoire provoque une altération de la production de la parole appelée paraphasie phonémique (cf. plus bas), caractéristique fondamentale de l'aphasie réceptive ou aphasie de Wernicke.
- Les phonèmes du mot parlé sont mal choisis ou mal ordonnés.
- La compréhension des mots est relativement bonne.
Cette paraphasie phonémique est également retrouvée dans les aphasies de conduction, dues, généralement, à une lésion du faisceau arqué, faisceau qui relie l'aire de Wernicke à l'aire de Broca.
Compréhension de la parole
Dans l'aphasie primaire progressive, dans laquelle la compréhension du langage est gravement altérée, les changements pathologiques se concentrant dans la moitié antérieure du lobe temporal, bien en dehors de la zone standard de Wernicke (Progression of language decline and cortical atrophy in subtypes of primary progressive aphasia 2011).
En effet, la compréhension du langage comprend deux étapes (The cortical organization of speech processing: Feedback control and predictive coding the context of a dual-stream model 2012).
1. Tout d'abord, un processus sensoriel analyse l'entrée auditive des phonèmes, indépendamment de la signification des mots, qui est localisé dans des aires du gyrus temporal supérieur, antérieures à celles à l'aire de Wernicke, et le sillon temporal supérieur adjacent dans les deux hémisphères (Phoneme and word recognition in the auditory ventral stream 2012).
La localisation bilatérale de cette étape perceptuelle la rend plus résistante aux lésions unilatérales, ce qui explique la rareté relative des déficits de perception de la parole pure (Pure word deafness and the bilateral processing of thespeech code 2001).
2. Puis, la parole devient compréhensive grâce à la récupération d'informations sémantiques, donneuses de sens, associées à l'entrée auditive des phonèmes.
Une méta-analyse de 120 études de neuroimagerie a identifié un vaste réseau de régions cérébrales impliquées dans le traitement sémantique (Where Is the Semantic System? A Critical Review and Meta-Analysis of 120 Functional Neuroimaging Studies 2009).
- le lobe pariétal inférieur postérieur (gyrus angulaire et régions du gyrus supramarginal),
- le cortex temporal latéral (gyrus temporal moyen et régions postérieures du gyrus temporal inférieur),
- le cortex temporal ventral (gyrus fusiforme et gyrus parahippocampique),
- le cortex préfrontal dorsomédial (dmPFC)
- le gyrus frontal inférieur (IFG),
- le cortex préfrontal ventromédial (vmPFC) et le cortex préfrontal orbital,
- le gyrus cingulaire postérieur et le précuneus.
Toutes ces régions, qui ne comprennent pas l'aire de Wernicke, reçoivent des entrées multimodales et supramodales déjà traitées auparavant et sont considérées comme le siège des processus d'intégration de haut niveau.
- Le système sémantique humain correspond ainsi dans une large mesure au réseau de zones d'association hétéromodales (apport de multiples entrées sensorielles) pariétales, temporales et préfrontales, qui sont considérablement étendues chez l'homme par rapport au cerveau de primate non humain.
- Les preuves soutiennent la subdivision de ce réseau en composants postérieurs (temporaux/pariétaux) et frontaux correspondant aux aspects de stockage et de récupération du traitement sémantique
- Le système sémantique est latéralisé à l'hémisphère gauche, bien qu'avec une certaine représentation bilatérale (en particulier dans le gyrus angulaire et le gyrus cingulaire postérieur).
Toutes ses données semblent dire que l'aire classique de Wernicke n'a pas comme fonction première la compréhension du langage, mais est impliquée dans la récupération phonologique, i.e. la représentation mentale des phonèmes à articuler et de leur ordre dans le temps.
La récupération phonologique de l'aire de Wernicke est donc nécessaire pour toutes les tâches liées à la parole.
La répétition de la parole (flèche bleue), i.e. une personne répète les sons qu'elle a entendus prononcer ou dire par une autre personne, nécessite que cette personne ait la capacité de cartographier les sons qu'elle entend pour bien les articuler.
- Cela implique une perception des phonèmes auditifs (aire jaune) puis une entrée dans le système de récupération phonologique (aire bleue).
- Un mécanisme similaire est en œuvre dans la lecture à haute voix (flèche jaune), sauf que l'entrée dans le système de récupération phonologique (aire bleue) provient d'une aire de perception visuelle des mots (WVFA) dans le cortex du gyrus fusiforme gauche et la région environnante ( chapitre spécial sur la perception visuelle des mots).
La production de la parole, i.e. processus par lequel les pensées sont traduites en parole (flèche rouge), nécessite une étape avant la récupération phonologique, dans laquelle le concept est récupéré pour exprimer ce que le locuteur veut dire.
- Le réseau de traitement sémantique, i.e. sens des mots (aire rose), est largement distribué dans les cortex d'association d'ordre supérieur dans les lobes temporaux, pariétaux et frontaux ( aires de traitement sémantiques, cf. plus haut)
- Puis, la récupération des mots est réalisée en cartographiant les significations de mots sur des représentations phonologiques (aire bleue).
La compréhension de la parole (flèche orange) implique de cartographier des séquences de phonèmes perçues dans le système de perception des phonèmes auditifs (aire jaune) sur des significations de mots dans le système sémantique (aire rose), ce qui exclut de facto l'aire de Wernicke.
Aphasie réceptive
L'aire de Wernicke rend compte de l'aphasie réceptive (ou aphasie de Wernicke en neuropsychologie clinique).
L'aphasie est une incapacité à comprendre ou à formuler le langage en raison de dommages situés dans des régions cérébrales spécifiques ( petit lexique aphasiologique).
Types d'aphasie | Répétition de la parole |
Nommage | Compréhension | Fluidité |
---|---|---|---|---|
Aphasie de Broca (expressive) |
Modérée/sévère | Modérée/sévère | Difficulté faible | Non fluente, difficile, lente |
Aphasie de Wernicke (réceptive) |
Faible/sévère | Faible/sévère | Déficience | Fluente, paraphrasique |
Aphasie de conduction |
Pauvre | Pauvre | Relativement bonne |
Fluente |
Aphasie transcorticale motrice | Bonne | Faible/sévère | Faible | Non fluente |
Aphasie transcorticale sensorielle | Bonne | Modérée/sévère | Pauvre | Fluente |
Aphasie transcorticale mixte | Modérée | Pauvre | Pauvre | Non fluente |
Aphasie globale | Pauvre | Pauvre | Pauvre | Non fluente |
Aphasie anomique (ou amnésique) | Faible | Modérée/sévère | Faible | Fluente |
Les symptômes de l'aphasie de Wernicke, tirés du Wikipedia anglais, sont les suivants.
1. Déficits de compréhension du langage écrit et parlé (réception altérée, d'où le nom de l'aphasie) : la zone de Wernicke est chargée de la récupération phonologique, donc la compréhension peut être altérée, mais, pour qu'elle le soit vraiment, il faut que d'autres aires soient aussi touchées.
2. Mauvaise récupération des mots : le patient a de la difficulté à trouver les mots qu'il recherche (anomie), i.e. à ne pas confondre avec l'anomie, en sociologie, ou désintégration des normes d'une société qui règlent la conduite des hommes et assurent l'ordre social.
3. Discours fluide : les malades n'ont pas de difficulté à produire un discours cohérant qui s'écoule facilement. Bien que les mots puissent être appropriés, parfois, ils n'ont pas de correspondance ou même de sens (cf. plus bas).
4. Sensibilisation : les personnes atteintes ne sont souvent pas conscientes de leurs troubles du langage et elles ne les corrigent pas.
5. Production de jargon : discours sans contenu, constitué d'une intonation typique et qui consiste à déformer ou confondre les mots ou même en inventer de nouveaux à tel point qu'il devient impossible de le comprendre.
- Le jargon peut consister en une chaîne de néologismes, ainsi qu'en une combinaison de mots réels qui n'ont pas de sens ensemble dans le contexte.
- Ce jargon peut inclure des salades de mots ou schizophasies, i.e. mélange confus ou inintelligible de mots et de phrases apparemment aléatoires, qui peut aussi se retrouver dans des altérations mentales comme la schizophrénie.
6. Paraphasies :
- Les paraphasies phonémiques (littérales) impliquent la substitution, l'addition ou le réarrangement des sons (transformation de la forme phonologique du mot) afin qu'une erreur puisse être définie comme sonnant comme le mot cible (« virtu » pour « voiture »). Souvent, la moitié du mot est toujours intacte, ce qui permet une comparaison facile avec le mot original approprié (on peut prendre comme exemple « brouillard » pour « brouillon ».
- Les paraphasies sémantiques (verbales) est une substitution lexicale, i.e. dire un mot qui est lié au mot cible dans le sens ou la catégorie (paraphasies sémantique formelle) ou le phonème (paraphasie verbale formelle) : on peut prendre comme exemples « mouton » pour « bouton » et « couteau » pour « fourchette ».
7. Néologismes : formation de nouveaux mots ou non mots qui n'ont aucun rapport avec le mot cible : « robude » pour « chaussure »
8. Circonlocution (ou périphrase) : parler autour du mot cible. Exemple : « Euh ! C'est blanc... c'est plat... tu écris dessus… » quand l'aphasique fait référence au papier.
9. Discours continu : si un clinicien demande : « que faites-vous dans un supermarché ? », le patient répond : « Eh bien, le supermarché est un endroit. C'est un endroit avec beaucoup de nourriture. Ma nourriture préférée est la cuisine italienne. Dans un supermarché, j'achète différents types de nourriture. Il y a des chariots et des paniers. Les supermarchés ont beaucoup de clients et de travailleurs… »
10. Absence d'hémiparésie : généralement, aucun déficit moteur n'est observé.
11. Durée de rétention réduite : capacité réduite à conserver les informations pendant de longues périodes.
12. Déficiences en lecture et en écriture : des déficiences peuvent être observées à la fois en lecture et en écriture (alexie) avec des niveaux de gravité différents.