Citation
« On pourra dire… que chaque famille, tant
dans les animaux que dans les végétaux, n'a eu qu'une seule
souche, et même que tous les animaux sont venus d'un seul animal,
qui, dans la succession du temps, a produit, en se perfectionnant et en
dégénérant, toutes les races des autres animaux. "
Buffon
Pour comprendre le courant évolutionniste, il nous faut tout d'abord envisager les forces en présence lorsque Charles Darwin (1809-1882) fit paraître, en 1859, le « maudit livre » qui l'a « presque tué » : " l'Origine des Espèces " ( infos).
A cette époque, deux grands courants s'opposent :
Le courant évolutionniste (
infos), déjà apparu avant Aristote
(382-324 av. JC) et issu de l'approche zoologique (du grec zôon, animal,
et logos science), après la florissant Moyen Age musulman
(
infos), se développe au XVIIIe siècle.
Le XVIIIe siècle voit naître les pionniers et les premières classifications de l'Histoire Naturelle. En effet, à cette époque, on commence à se rendre compte que l'étude des Anciens a ses limites et que les progrès des sciences permettent d'aborder la notion d'espèce ( infos) de manière différente.
Mais comment les classer ? On s'aperçut vite que la " meilleure " façon à l'époque était de se baser sur des critères morphologiques de ressemblance. C'est ce que ferrons les zoologistes aussi bien fixistes ( infos) tels Carl von Linné (1707-1778) ou Georges Cuvier (1769-1832) qu'évolutionnistes que nous étudions ici.
Ce sont des personnages comme :
« Peut- être dans quelque temps
ou dans quelque lieu de l'univers, les espèces d'animaux sont, ou
étaient, ou seront plus sujettes à changer qu'elles ne sont
présentement parmi nous, et plusieurs animaux qui ont quelque chose
du chat, comme le Lion, le Tigre ou le Lynx pourraient avoir été
d'une même race et pourraient être maintenant comme des sous-divisions
naturelles de l'ancienne espèce du chat. »
« Ne pourrait-on pas expliquer par là, comment, de deux seuls individus, la multiplication des espèces les plus dissemblables auraient pu s'en suivre ? Elles n'auraient dû leur première origine qu'à quelques productions fortuites, dans lesquelles les parties élémentaires n'auraient pas retenu l'ordre qu'elles tenaient dans les animaux père et mère ; chaque degré d'erreur aurait fait une nouvelle espèce, et, à force d'écarts répétés, serait venue la diversité infinie des animaux que nous voyons aujourd'hui. »
Les caractères acquis sont héréditaires,
mais l'effet du milieu, cher à Buffon, n'a pas d'importance comme
le pensera également Lamarck
(1744-1829). Pour ce qui concerne la disparition des espèces, c'est
le hasard qui fait que des variations produisent des individus non-viables.
Contrairement à Charles
Darwin (1809-1882), il soutenait que Dieu est le créateur de
toute chose. C'est ce que dira Nicolas
Malebranche (1638-1715) en introduisant le hasard dans la création
: " Dieu joue-t-il aux dés ? " dira bien plus tard Albert
Einstein (1879-1955).
Toute
l'oeuvre de Georges-Louis
Leclerc, comte de Buffon (1707-1788) peut être consultée
en ligne (
infos). Il est l'auteur d’une Histoire naturelle, générale
et particulière, publiée en 36 volumes entre 1749 et 1788.
Buffon a remis en cause l'âge de la création biblique dans son livre " Théorie de la terre " de 1749 ( infos), ce qui permit la conception de l'évolution des espèces sur une grande période de temps.
Ses contributions à l'évolutionnisme sont contenues, entre autres, dans " histoire naturelle, générale et particulière avec la description du cabinet du Roi, Tome Quatorzième " ( infos) publié en 1766 et, en particulier dans les " causes de la dégénération " ( infos).
Sa classification zoologique réduit le nombre d'espèces : « En comparant ainsi tous les animaux et les rappelant chacun à leur genre, nous trouverons que les deux cents espèces dont nous avons donné l’histoire, peuvent se réduire à un assez petit nombre de familles ou souches principales, desquelles il n’est pas impossible que toutes les autres soient issues. Et pour mettre de l’ordre dans cette réduction, nous séparerons d’abord les animaux des deux continens ; et nous observerons qu’on peut réduire à quinze genres et à neuf espèces isolées, non-seulement tous les animaux qui sont communs aux deux continens, mais encore tous ceux qui sont propres et particuliers à l’ancien. »
Buffon pense que les circonstances du milieu agissent directement sur les êtres vivants pour les modifier. Cette théorie sera combattue par Lamarck ( infos).
« Et lorsque par des révolutions sur le globe ou par la force de l’homme, ils [ les animaux ] ont été contraints d’abandonner leur terre natale ; qu’ils ont été chassés ou relégués dans des climats éloignés, leur nature a subi des altérations si grandes et si profondes, qu’elle n’est pas reconnoissable à la première vue, et que pour la juger il faut avoir recours à l’inspection la plus attentive, et même aux expériences et à l’analogie. Si l’on ajoute à ces causes naturelles d’altération dans les animaux libres, celle de l’empire de l’homme sur ceux qu’il a réduits en servitude, on sera surpris de voir jusqu’à quel point la tyrannie peut dégrader, défigurer la Nature ; on trouvera sur tous les animaux esclaves les stigmates de leur captivité et l’empreinte de leurs fers ; on verra que ces plaies sont d’autant plus grandes, d’autant plus incurables, qu’elles sont plus anciennes, et que dans l’état où nous les avons réduits, il ne seroit peut-être plus possible de les réhabiliter, ni de leur rendre leur forme primitive, et les autres attributs de Nature que nous leur avons enlevés. La température du climat, la qualité de la nourriture et les maux d’esclavage, voilà les trois causes de changement, d’altération et de dégénération dans les animaux. » p : 316
On peut voir l'évolution de la pensée de Buffon dans un ouvrage de 1892 d'Armand de Quatrefages ( infos).
Toutefois, Buffon s'en remet au miracle ou à quelque procédé
de génération spontanée (
infos) pour expliquer l'origine des premiers types.
Il est à remarquer que, contrairement au catastrophisme ( infos) de Georges Cuvier (1769-1832), Buffon ne pense pas que Dieu recréait tout " de nihilo ", mais les espèces se forment à partir des molécules organiques.
« Au reste, j’ai donné
dans mon Traité de la génération, un grand nombre d’exemples
qui prouvent la réalité de plusieurs générations
spontanées ; j’ai dit (vol. II, in 4. page 420),
que les molécules organiques vivantes, contenues dans tous les êtres
vivans ou végétans, sont toujours actives, et que quand elles
ne sont pas absorbées en entier par les animaux, ou par les végétaux
pour leur nutrition, elles produisent d’autres êtres organisés.
…
Plus on observera la Nature de près, et plus on reconnoîtra
qu’il se produit en petit beaucoup plus d’êtres de cette
façon que de toute autre. On s’assurera de même que cette
manière de génération est non-seulement la plus fréquente
et la plus générale, mais encore la plus ancienne, c’est-à-dire,
la première et la plus universelle ; car supposons pour un
instant qu’il plût au souverain Etre de supprimer la vie de
tous les individus actuellement existans, que tous fussent frappés
de mort au même instant ; les molécules organiques
ne laisseroient pas
de survivre à cette mort universelle ; le nombre de ces molécules
étant toujours le même, et leur essence indestructible aussi
permanente que celle de la matière brute que rien n’auroit
anéanti, la Nature posséderoit toujours la même quantité
de vie, et l’on verroit bientôt paroître des espèces
nouvelles qui remplaceroient les anciennes ; car les molécules organiques
vivantes se trouvant toutes en liberté, et n’étant ni
pompées ni absorbées par aucun moule subsistant, elles pourroient
travailler la matière brute en grand ; produire d’abord une
infinité d’êtres organisés, dont les uns n’auroient
que la faculté de croître et de se nourrir, et d’autres
plus parfaits qui seroient doués de celle de se reproduire ; ceci
nous paroît clairement indiqué par le travail que ces molécules
font en petit dans la putréfaction et dans les maladies pédiculaires
où s’engendrent des êtres qui ont la puissance de se
reproduire ; la Nature ne pourroit manquer de faire alors en grand ce qu’elle
ne fait aujourd’hui qu’en petit, parce que la puissance de ces
molécules organiques, étant proportionnelle à leur
nombre et à leur liberté, elles formeroient de nouveaux moules
intérieurs, auxquels elles donneroient d’autant plus d’extension
qu’elles se trouveroient concourir en plus grande quantité
à la formation de ces moules, lesquels présenteroient dès-lors
une nouvelle Nature vivante, peut-être assez semblable à celle
que nous connoissons.
Ce remplacement de la Nature vivante ne seroit d’abord que
très-incomplet, mais avec le temps tous les grands êtres qui
n’auroient pas la puissance de se reproduire disparoîtroient
; tous les corps imparfaitement organisés, toutes les espèces
défectueuses s’évanouiroient, et il ne resteroit, comme
il ne reste aujourd’hui, que les moules les plus puissans, les plus
complets, soit dans les animaux, soit dans les végétaux, et
ces nouveaux êtres seroient en quelque sorte semblables aux anciens,
parce que la matière brute et la matière vivante étant
toujours la même, il en résulteroit le même plan général
d’organisation et les mêmes variétés dans les
formes particulières. » Histoire naturelle,
générale et particulière : supplément. Tome
Quatrième.
Les députés de la Faculté de Théologie de Paris demandèrent des explications à Buffon sur certaines phrases de son " Histoire Naturelle “ qui allaient à l'encontre de la vision biblique. Vous pouvez suivre les échanges de correspondance et les justifications de Buffon ( infos).
« Nous avons été informés, par un d’entre nous de votre part, que lorsque vous avez appris que l’Histoire Naturelle, dont vous êtes auteur, étoit un des ouvrages qui ont été choisis par ordre de la Faculté de Théologie pour être examinés et censurés, comme renfermant des principes et des maximes qui ne sont pas conformes à ceux de la Religion, vous lui avez déclaré que vous n’aviez pas eu intention de vous en écarter, et que vous étiez disposé à satisfaire la Faculté sur chacun des articles qu’elle trouveroit répréhensibles dans votredit ouvrage » Première lettre de 1751
La lettre de Buffon à Président de Brosses de 1760 est révélatrice à ce sujet ( infos) : « Le fond de vos idées me paraît juste et vrai ; il m’a seulement semblé que vous avez été quelquefois embarrassé pour les mettre dans leur plein jour par les raisons qui nous embarrassent tous lorsque nous voulons dire la vérité… Souvent l’on fait passer dans un in-quarto des choses que l’on ne peut dire en in-douze… Je sens que je serai obligé de supprimer le peu de bonnes choses qu’il y aurait à dire ; mais enfin, comme disait quelqu’un, il vaut encore mieux être plat que pendu. »
Il semble que Buffon n'est pas voulu pousser sa théorie à son terme et qu'il ait préféré à l'audace un conformisme tranquille qui l'empêcherait d'être inquiété.
Pourtant, en parlant de l'homme, il écrit : « Une vérité peut-être humiliante pour l’homme, c’est qu’il doit se ranger lui-même dans la classe des animaux auxquels il ressemble par tout ce qu’il a de matériel. » Histoire naturelle, générale et particulière ; Tome Premier
« On verra dans l’histoire de l’orang-outang, que si l’on ne faisoit attention qu’à la figure on pourroit également regarder cet animal comme le premier des singes ou le dernier des hommes, parce qu’à l’exception de l’ame, il ne lui manque rien de tout ce que nous avons, et parce qu’il diffère moins de l’homme pour le corps, qu’il ne diffère des autres animaux auxquels on a donné le même nom de singe. » Histoire naturelle, générale et particulière ; Tome Quatorzième p : 30 ( infos).
Est-ce que Buffon était matérialiste ( infos) ? On peut volontiers croire en Dieu et en la science : « La nature peut tout, exception faite de la création et du retour au néant, deux extrêmes réservés à Dieu. La nature cependant détruit, change, développe, renouvelle, reproduit. Tout donc a été créé et rien n'a encore été anéanti. La nature se meut entre deux extrêmes sans jamais pouvoir les atteindre. »
Connaissances
au XIXeEvolutionnismeAntiquitéMoyen
AgeBuffon
Erasmus
DarwinGeoffroy
Saint-HilaireLamarckTransformisme
de Lamarck
Charles Darwinl'Origine
des EspècesThéorie
de l'évolution
Développement de la génétiqueNéodarwinismeClassification
phylogénétique
Systématique
génétiqueFixisme