Psychologie écologique
Principes
- Vue d'ensemble de la cognition
- Cognition incarnée
- Cognition située
- Psychologie écologique
La psychologie écologique est une approche incarnée (embodied), située (situated) et non représentative, développée par le psychologue James J. Gibson (1904-1979) et, son épouse, Eleanor. J. Gibson (1910-2002) qui veut offrir une troisième voie au-delà du cognitivisme et du behaviorisme pour comprendre la cognition.
Eleanor Jack Gibson est une psychologue américaine professeur de psychologie, qui s'est intéressée à l'apprentissage de la lecture, de perception et de l'apprentissage chez les nourrissons et les tout-petits.
Après avoir étudié les influences théoriques sur la genèse de la psychologie écologique, étudions ses principes.
Tout ce chapitre est tiré de l'excellent article : The History and Philosophy of Ecological Psychology (2018).
Boucle perception-action et systèmes perceptifs
La perception est considérée comme un processus actif dans lequel l’exploration, la perception et l’action des agents, i.e. compris comme celui qui agit, font partie de la même activité ( sensation et perception). E. J. Gibson a cité John Dewey - 1859-1952 - (The reflex arc concept in psychology 1896) et a présenté son travail comme un antécédent de l'approche écologique (An Odyssey in Learning and Perception 1988):
« Nous ne voyons pas simplement, nous regardons. Le système visuel est à la fois un système moteur et un système sensoriel. Lorsque nous recherchons des informations dans un réseau optique, la tête tourne, les yeux tournent pour fixer, la lentille s'adapte pour se concentrer et les lunettes peuvent être appliquées et même ajustées par la position de la tête pour regarder de loin ou de près. C'est un point souligné depuis longtemps par des psychologues fonctionnels tels que Dewey (1896) et Woodworth (1958). Il a été développé en détail par Gibson - par exemple, dans ses expériences sur le toucher actif (1962). »
1. Pour J. J. Gibson, il existe une coordination intrinsèque de la perception et de l’action lorsque l’un de ces systèmes fonctionne (The Senses Considered as One Perceptual System 1966).
- Ainsi, les modalités sensorielles ne doivent pas être comprises comme des systèmes dans lesquels des récepteurs spécialisés (photorécepteurs, par exemple) sont stimulés par un stimulus sensoriel (photons) produisant une impression sensorielle qui est enrichie ou transformée pour former une représentation. Selon J.J. Gibson, les animaux ont évolué non seulement pour être sensibles aux stimuli sensoriels, mais aussi pour détecter des informations écologiques.
- Pour cela, il ne faut pas seulement des voies et des systèmes neuronaux, mais aussi une gamme de comportements qui contribuent à révéler et à collecter des informations écologiques : ces comportements s'étendent à la connection œil-cerveau ( voies optiques) et incluent des mouvements des yeux, de la tête et du corps qui facilitent la détection des informations écologiques dans le réseau.
Une modalité sensorielle est considérée comme un système perceptuel lorsqu'elle inclut cette gamme de comportements de l'animal pris dans son ensemble.
2. Gibson invoque aussi le toucher dynamique (Dynamic Touch), terme proposé pour le toucher actif qui implique l'exploration, le maniement et la manipulation d'objets. J.J. Gibson a également souligné l'importance de l'inertie pour le toucher dynamique, un domaine de recherche encore très actif à l'heure actuelle (Dynamic Touch as Common Ground for Enactivism and Ecological Psychology 2020).
Contrairement à l'analyse psychophysique du toucher comme sensibilité de la surface de la peau, J.J. Gibson a défendu le caractère actif du système haptique, y compris le toucher dynamique et le rôle prédominant des mouvements exploratoires des mains.
Dans les travaux fondateurs de H. V. Solomon et Mickael T. Turvey (Haptically Perceiving the Distances Reachable With Hand-Held Objects 1988), les participants tiennent une tige d'une seule main et doivent estimer sa longueur. Ils ne pouvaient ni voir les tiges, ni toucher leurs extrémités. Les expérimentateurs ont constaté que les participants déterminaient avec précision la longueur des tiges (Perceiving the Width and Height of a Hand-Held Object by Dynamic Touch 1998).
- Les auteurs ont supposé que la dynamique rotationnelle jouait un rôle crucial. Les participants brandissaient la tige détectant sa résistance à la rotation (son moment d'inertie) grâce à l'effort musculaire : ils ont donc accédé aux informations invariantes présentes dans le tenseur d'inertie de la tige.
- Ce tenseur est une propriété physique directement liée à la longueur de la tige qui n'est accessible que lors de l'utilisation des tiges.
Les études de toucher dynamique se sont ensuite portées sur les différents mouvements (couples) nécessaires pour diagonaliser le tenseur d'inertie, la manière dont le poids est appréhendé ou la perception de différentes formes par leur maniement. De plus, plusieurs études ont proposé que même la proprioception (en particulier, la position des extrémités) soit spécifiée par leur tenseur d'inertie.
Une revue détaillée de la dynamique de rotation et du toucher dynamique a été rédigée par Claudia Carello et M. T. Turvey (Rotational Invariants and Dynamic Touch 2000).
La boucle perception-action n'est pas simplement une reformulation de l'interaction ou de l'influence de deux processus, mais l'affirmation que « la perception et l'action sont de même nature logique et sont mutuelles, réciproques et contraignantes symétriquement. » M. J. Richardson (2008) dans Ecological Psychology: Six Principles for an Embodied–Embedded Approach to Behavior (2008)
- Ainsi, les systèmes perceptuels orientent les organes perceptuels et effectuent des ajustements dans l'exploration pour se mettre en résonnance lorsque l'information écologique est collectée.
- Cette collecte est la raison pour laquelle l'organisme et l'environnement sont enchevêtrés dans la dynamique action-perception (The Dynamics of Perception and Action 2006).
Remarque : l'énactivisme fait partie d'un groupe de théories connexes parfois connues sous le nom de 4E et se rapproche de la psychologie écologique. Les processus mentaux sont :
- incarnés (embodied), impliquant plus que le cerveau, en particulier des structures et des processus corporels ;
- intégrés (embedded), fonctionnant uniquement dans un environnement externe connexe ;
- énactés (enacted), impliquant non seulement des processus neuronaux, mais aussi les actions de l'organisme ;
- étendus (extended) dans l'environnement de l'organisme.
L'énactivisme propose une alternative au dualisme en tant que philosophie de l'esprit, en ce sens qu'il met l'accent sur les interactions entre l'esprit, le corps et l'environnement, les considérant tous comme indissociablement liés dans les processus mentaux (The enactive apporoach 2007).
Cette approche théorique de la cognition selon la notion d'énaction fut proposée par Gregory Bateson (1904-1980), Humberto Maturana, Francisco Javier Varela (1946–2001), en particulier avec leur concept d'autopoiëse (L'autopoïèse et l'« individu » en train de se faire 2011), Evan Thompson et Eleanor Rosch. Proche de la cognition incarnée et de la cognition située et est conçue comme une alternative au cognitivisme, au computationnalisme et au dualisme de Descartes (1596-1650).
- Le computationnalisme est une théorie fonctionnaliste en philosophie de l'esprit qui, pour des raisons méthodologiques, conçoit l'esprit comme un système de traitement de l'information et compare la pensée à un calcul (en anglais, computation) et, plus précisément, à l'application d'un système de règles.
- Par computationnalisme, on entend la théorie développée en particulier par Hilary Putnam (1926-2016) et Jerry Fodor (1935-2017), et non le cognitivisme en général.
Le moi surgit dans le cadre du processus d'une entité incarnée interagissant avec l'environnement de manière précise déterminée par sa physiologie, i.e. l'Umwelt de Jacob Johann von Uexküll (1864-1944).
« L'action est l'idée que les organismes créent leur propre expérience à travers leurs actions. Les organismes ne sont pas des récepteurs passifs des contributions de l'environnement, mais sont des acteurs de l'environnement tels que ce qu'ils éprouvent est façonné par la façon dont ils agissent. » Edwin Hutchins (1996) cité dans Cognitive, Embodied or Enacted? Contemporary Perspectives for HCI and Interaction (2012).
« La relation entre les écoles de pensée (i.e. enactée et écologique) est une étrange familiarité, comme si leurs pratiquants respectifs se regardaient à travers une vallée étrange. Il est vrai que les deux approches se chevauchent dans leur rejet du représentationnalisme, mais cela ne signifie pas qu'elles rejettent nécessairement la même chose… la perspective enactive rejette une approche fonctionnaliste générale de la cognition, tandis que la psychologie écologique rejette l'hypothèse de la pauvreté de l'information environnementale. Ce ne sont pas les mêmes choses. Pour les Gibsoniens, la perception concerne toujours la collecte d'informations, mais pas pour les activistes, qui conçoivent la perception comme un aspect de la création de sens, un concept qui est explicitement fondé sur la notion d'agence autonome. » Ezequiel Di Paolo cité dans Sensorimotor Life: An enactive proposal (2017).
Système Organisme-Environnement, informations écologiques et spécificité
Système Organisme-Environnement
La dualité organisme/environnement est probablement la dichotomie la plus importante que la psychologie écologique visait à surmonter. Cette dichotomie traditionnelle a une portée plus large que le problème corps/esprit et ses implications sont encore plus pertinentes que celles produites par le rejet de la dichotomie perception/action (The Optics and Actions of Catching Fly Balls: Zeroing Out Optical Acceleration 1981).
1. La tradition pragmatique et sa relation avec les idées darwiniennes ont directement influencé la psychologie écologique de J. J. Gibson pour rejeter le dualisme organisme/environnement.
« (…) Il est souvent négligé que les mots animal et environnement forment un couple indissociable. Chaque terme implique l'autre. Aucun animal ne pourrait exister sans un environnement qui l'entoure. De même, bien que moins évident, un environnement implique qu'un animal (ou au moins un organisme) soit entouré. » (J. J. Gibson, The Ecological Approach to Visual Perception: Classic Edition 1979/2015, p. 4).
2. La différence entre le monde et l'environnement est essentielle, car le monde qui entoure les animaux est décrit en termes physiques, tandis que l'environnement est décrit en termes écologiques, i.e. en le considérant comme lié aux capacités de l'organisme.
- Les paramètres physiques ne sont pas utiles pour expliquer le comportement car ils ne se rapportent pas aux organismes.
- Au lieu de cela, les réalités environnementales (événements, par exemple, qui sont liés à l'organisme qui les perçoit) sont les réalités pertinentes pour une explication psychologique parce qu'elles sont significatives : elles sont liées à leurs capacités.
Informations écologiques
Les agents doivent détecter les dommages potentiels et tirer parti des ressources de leur environnement. Ainsi, les organismes doivent détecter des informations significatives (écologiques) pour se comporter correctement.
1. Cependant, la stimulation sensorielle n'est pas suffisante pour la perception, car il peut y avoir une stimulation sensorielle sans perception. Prenons l'exemple d'une pièce remplie de brouillard.
- La lumière produit l'excitation des photorécepteurs spécialisés, i.e. une lumière ambiante (homogène), mais l'agent ne peut pas percevoir l'environnement parce qu'il ne peut pas voir les surfaces de la pièce.
- Cependant, lorsque le brouillard se dissipe, la lumière se reflète différemment sur les surfaces de la pièce, i.e. révélant leur orientation leur forme, leur texture, leur pigmentation, leur mouvement…, i.e. la lumière ambiante se convertit en une structure hétérogène.
Cette structure hétérogène montre à l'agent les différentes possibilités d'agir dans l'environnement, la lumière est donc informative sur l'environnement.
- Les informations ne se trouvent pas dans des points individuels de stimulation, mais dans la structure du motif entier, i.e. dans des variables d'ordre supérieur.
- Ces informations sont écologiques car elles montrent la manière dont l'environnement est disposé par rapport au point d'observation du percepteur.
2. Le caractère écologique est donné non seulement par la lumière elle-même comme énergie physique, mais aussi par l'action de l'agent.
Comme Gibson l'a affirmé, « l'affordance, comme je l'ai dit, indique deux voies, par rapport à l'environnement et à l'observateur. Il en va de même des informations pour spécifier une affordance ».
3. Les informations écologiques renseignent sur l'environnement car elles précisent les affordances disponibles.
Spécificité
La " spécificité `" renvoie à l’idée selon laquelle la présence d’informations écologiques correspond à la perception directe des opportunités.
- La plupart des auteurs considèrent la spécificité comme fondée sur la loi naturelle. Par exemple, le réseau optique ambiant spécifie l'environnement en raison des lois de l'optique, c'est-à-dire parce que chaque objet et chaque surface réfléchissent la lumière différemment. La spécificité peut donc être conçue comme le lien entre l'information écologique et les propriétés environnementales.
- Toutefois, certains l'interprètent comme une garantie de la présence de certains éléments, par exemple, un certain motif de lumière garantit une surface (Phenomenology: An Introduction 2015).
1. Un aspect important de la spécificité est qu'il permet le caractère licite des informations écologiques : lorsque l'individu explore l'environnement et rencontre ces informations écologiques, il utilise ces informations pour guider son comportement intentionnel.
- En ce sens, « [les] informations écologiques sont licites non pas dans le sens newtonien d'être universelles dans l'espace et dans le temps, mais dans un sens écologique d'être régulières dans un contexte écologique de contrainte » (William H. Warren, Direct Perception :The View from Here, 2005).
- Ce qui découle de la détection ou de la collecte est qu'il n'est pas nécessaire de traiter et d'enrichir l'information écologique, car elle est suffisamment informative des avantages de l'environnement pour guider le comportement de l'agent par lui-même.
En ce sens, le non-représentationnalisme et le rejet du traitement cognitif sont une conséquence à la fois de la spécificité et de la collecte d'informations écologiques. Pour cette raison, la détection des informations écologiques implique la perception directe des affordances.
2. Michael T. Turvey (1981), et ses collègues de l'école du Connecticut, ont proposé une version plus spécifique de la spécificité.
- Le système perceptuel détecte des informations spécifiques aux propriétés environnementales pertinentes pour l'organisme, les relations dites 1:1.
- Il existe, bien sûr, des variables redondantes et non spécifiques auxquelles les percepteurs peuvent être adaptés. Mais, tout à fait dans la tradition pragmatiste, ces actions quotidiennes qui sont accomplies avec succès sont basées sur des informations spécifiques.
Turvey a montré une analyse en deux étapes d'une affordance pour :
- isoler les invariants environnementaux liés à l'extension de l'affordance.
- décrire la lumière et caractériser la configuration en tant que variable optique.
Ainsi, par transitivité, la relation entre l'environnement et l'information et la relation entre l'information et l'affordance permettent de percevoir directement l'accessibilité : c'est une loi symétrique dans laquelle l'environnement spécifie les informations et les informations spécifient les affordances, ce qui conduit à une relation 1:1:1: de ces éléments par spécification ou correspondance unique (Radical Embodied Cognitive Science 2009).
Effectivité
L'école du Connecticut a concentré ses efforts sur le développement du concept de l'effectivité pour répondre à la façon dont un comportement est habituel sans être réglementé.
1. Le concept d'effectivité, i.e. une description des capacités comportementales de l'organisme (effectif, se dit d'une méthode qui, appliquée à la résolution d'un problème, en donne la solution au bout d'un nombre fini d'étapes) est nécessaire pour établir les propriétés pertinentes de l'environnement.
Ensuite, une théorie de l'action est nécessaire. Cette théorie doit prendre en compte :
- le problème des degrés de liberté : le contrôle moteur est la programmation centrale et l'exécution de programmes moteurs spécifient chaque valeur ou degré de liberté de toutes les articulations et les muscles du système squelettique, ce qui n'est pas facile à calculer vu le nombre de variables.
- la variabilité du contexte du contrôle moteur : les programmes moteurs ne garantissent pas le mouvement prévu et trois sources principales de variabilité sont pointées :
- l'anatomie, i.e. le rôle des muscles dans le mouvement articulaire varie en fonction de la position anatomique ;
- les forces mécaniques, i.e. le mouvement varie si le segment est, par exemple, déjà en mouvement, générant des forces d'inertie ;
- la physiologie du système d'innervation, i.e. la modulation des motoneurones est variable selon qu'une même activation peut produire des effets différents selon l'état du muscle.
2. L'école du Connecticut a rejeté l'idée du contrôle des variables individuelles et a proposé que le contrôle moteur se compose d'un plus petit nombre de " groupes " (cluster) ou de variables collectives dont le contrôle est interne et relativement autonome des autres groupes.
Un exemple classique de ces variables collectives est la phase relative du balancement des jambes et des bras lors de la marche, cette approche consistant en des structures de coordination et des coalitions.
- Les structures de coordination se réfèrent à ces variables collectives, et elles ont été définies comme des groupes de muscles, couvrant souvent plusieurs articulations qui sont contraintes de fonctionner comme une unité.
- Les structures de coalition se réfèrent aux relations (hiérarchiques) entre ces structures et le mode de contrôle.
Ainsi, la psychologie écologique s'est tournée sur les problèmes des degrés de liberté et vers des approches systémiques dynamiques et complexes concernant le contrôle autonome et l'auto-organisation. Il y a, au moins, deux aspects des systèmes dynamiques qui en font un outil utile dans la psychologie écologique.
- Un système dynamique est un ensemble d'éléments formant une unité qui change avec le temps en raison de l'interdépendance des éléments qui façonnent le système.
- Le changement de comportement du système est décrit mathématiquement et présente un comportement émergent et auto-organisé (Complex dynamical systems and embodiment 2014). L'utilisation de systèmes dynamiques et complexes a été particulièrement fructueuse dans la dynamique de coordination (Recurrence quantification analysis of postural fluctuations 1999).
Remarque : La psychologie écologique se concentre sur le couplage organisme-environnement et non sur ce qui se passe au niveau neuronal sous-personnel. Cependant, cela ne signifie pas que ce niveau de description n'est pas important pour permettre l'ensemble du processus de perception.
Cette différence entre l'approche écologique et les neurosciences cognitives peut également être vue dans l'hypothèse des deux flux visuels ventral et dorsal ( voie rétino-corticale). Les psychologues écologiques remettent en question cette proposition pour deux raisons principales (Information, Perception, and Action: What Should Ecological Psychologists Learn From Milner and Goodale (1995)? 2000).
- Le " soi-disant " système ventral conservait tous les postulats qui soutiennent la nécessité d'un processus inférentiel et computationnel dans la perception, qui, à son tour, a donné lieu à la critique écologique, i.e. pauvreté du stimulus, passivité du percepteur…
- Le concept d'action utilisé pour définir le flux dorsal était limité à l'action performative (Les limites de l'interprétation du cogito comme performatif), ignorant les actions exploratoires dans lesquelles la perception est basée selon l'approche écologique.
En d'autres termes, la perception de l'action a été décrite comme une fonction unidirectionnelle, dans laquelle la perception guidait l'action, et non comme une boucle perception-action.
En outre, le fonctionnement de la " perception pour l'action " du flux dorsal a été largement accepté par la communauté des neurosciences cognitives sans qu'il n'y ait de description informatique de son fonctionnement (le " comment "), leurs preuves étant basées sur des données comportementales et cliniques.
Affordances
L'affordance définit les opportunités comme des possibilités d'actions latentes dans l'environnement, objectivement mesurables et indépendantes de la capacité de les reconnaître, mais toujours en relation avec l'acteur.
- L'affordance, néologisme anglais dérivé du verbe " to afford " qui a un double sens : " être en mesure de faire quelque chose " et " offrir " : elle désigne " toutes les possibilités d'actions sur un objet ", mais réduites aux seules possibilités dont l'acteur est conscient.
- L'affordance est donc un attribut d'un signal et doit être déduite.
Inférer qu'un objet a de l'affordance implique nécessairement une action. Les affordances sont définies au niveau de l'analyse organisme-environnement : un organisme ancré dans son système connaît son environnement parce qu'il en perçoit les affordances.
1. Par exemple, nous ne percevons pas une marche d'escalier en centimètres, mais en évaluant si nous pouvons ou non poser le pied dessus. C'est le sujet de l'étude empirique et mathématique des affordances réalisée par William H. Warren (Perceiving Affordances: Visual Guidance of Stair Cimbing 1984).
Dans cette étude, les participants ont été séparés en deux groupes en fonction de leur taille (personnes de petite taille versus personnes de grande taille) et on leur a demandé de juger s'ils pouvaient monter sur des marches de différentes hauteurs placées devant eux. Comme prévu, les participants de grande taille ont jugé qu'ils pouvaient monter sur des marches plus hautes que les participants de petite taille.
- Warren a analysé à quel moment les participants ont atteint une marche critique (c'est-à-dire une marche qui, lorsqu'elle a été présentée plusieurs fois, dans 50% des cas, elle a été jugée comme grimpable et 50% des cas comme non grimpable). Il a remarqué que la hauteur critique de la marche était liée à la taille du corps des participants selon la formule : Rc = jambe + ULeg - Lleg, Rc étant la hauteur critique de la marche, jambe, la longueur de la jambe, ULeg la longueur de la jambe supérieure et Lleg la longueur de la jambe inférieure.
- Lorsque Warren a divisé la hauteur de marche critique (qu'il a empiriquement trouvée pour les deux groupes de participants) par la longueur de leur jambe, les différences significatives entre les deux groupes ont disparu. De plus, il a affirmé qu'une personne estime comme pouvant être escaladée les marches qui sont inférieures à 0,88 fois sa longueur de jambe.
Ainsi, cette formulation mathématique a inauguré un ensemble d'études qui ont tenté d'identifier les possibilités d'action possibles sur une surface ou un objet par un organisme donné suivant ses mesures corporelles. Cette méthodologie a été rapidement utilisée pour étudier d'autres possibilités (Visual guidance of walking through apertures: body-scaled information for affordances 1987 et Visual Guidance of Passing Under a Barrier 1997).
2. Un organisme ne perçoit pas un monde physique objectif, sans valeur, dans lequel le sens est imposé, comme dans la théorie de la Gestalt.
- Nous ne créons pas des affordances lorsque nous les percevons, elles existent déjà dans le système comme des relations constantes entre l'organisme et l'environnement.
- La détection des informations équivaut à une perception de l’affordance, de sorte que les affordances sont des objets de perception significatifs dans un système organisme-environnement. Ainsi, une surface d'eau avec une tension adéquate peut permettre la locomotion d'un insecte, mais pas d'un humain.
3. Les affordances peuvent être divisées en deux groupes (Information, affordances, and the control of action in sport 2009).
- Les affordances liées au corps, i.e. propriétés liées aux dimensions corporelles des organismes, qui permettent d'utiliser des dimensions spécifiques de l'environnement pour une action ciblée : par exemple, le modèle de saisie d'un objet dépend de la relation entre la taille de l'objet et la main (An Outline of a Theory of Affordances 2002).
- Les affordances liées à l'action, i.e. propriétés liées aux capacités d'action de l'organisme, sont des propriétés environnementales qui permettent d'agir en relation avec les propriétés dynamiques du mouvement du percepteur. Par exemple, les variables optiques spécifient le point d'interception d'un ballon volant suivi visuellement par un observateur en mouvement (The relevance of action in perceiving affordances: Perception of catchableness of fly balls 1996).
Le terme d'affordance s'est répandu dans de nombreux contextes, de l'architecture (Hardcore Heritage: Imagination for Preservation 2017) à la robotique et à l'intelligence artificielle (Towards Affordance-based Robot Control 2008).
4. Par contre, la définition des affordances n'est pas partagée par tous les psychologues écologiques (The Problem with Affordance 2005).
Certains, comme Michael T. Turvey ou Edward S. Reed (1954-1997), développent une théorie dispositionnelle, i.e. qui ne décrit pas un caractère immédiatement observable d'un objet, mais une régularité manifestée par des événements ou des comportements dans des conditions appropriées.
- Les affordances sont des propriétés de l'environnement qui sont complétées par les effectivités des animaux, i.e. propensions causales à effectuer une action particulière (cf. plus haut).
- Même si les dispositions ne manquent jamais de s’actualiser, un animal peut échouer lorsqu’il tire un avantage d'une affordance. L'actualisation d'une accessibilité n'est pas aussi rigide que les processus chimiques ou physiques, car ils sont basés sur la performance de certaines capacités. Ainsi, les aspects de l'environnement peuvent exercer une pression de sélection.
D'autres auteurs, comme Thomas A. Stoffregen et Antony Chemero, affirment que les affordances sont des propriétés du système organisme-environnement (Affordances as Properties of the Animal–Environment System 2003 et Radical Embodied Cognitive Science 2009).
- D'une part, les affordances doivent être considérées comme des relations normatives des systèmes organisme-environnement, et l'ensemble de toutes les affordances pour un organisme donné est sa niche écologique. Cette approche est problématique, car l'introduction de la normativité va à l'encontre de la définition de la spécificité.
- D'autre part, si les animaux doivent se conformer ou s'adapter aux pressions des affordances comme le décrit Reed, alors cela brise la mutualité ou la réciprocité organisme-environnement .
Psychologie écologique : applications
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