Développement comportemental : facteurs épigénétiques ou environnementaux (expériences des Harlow sur le Macaque Rhésus)

Citation

« On dirait que le singe n'a été fait que pour humilier l'homme et lui rappeler qu'entre lui et les animaux, il n'y a que des nuances.»

Jean-Baptiste Say

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Sommaire
  1. Développement comportemental : vue d'ensemble
  2. Ontogenèse des comportements
    1. Facteurs génétiques
    2. Facteurs épigénétiques
      1. Période prénatale
        1. Position relative des foetus dans l'utérus
        2. Stimulations tactiles des foetus
        3. Influence du régime de la mère sur les choix alimentaires des jeunes
        4. Stress prénatal et conséquences
          1. Observations
          2. Mécanismes
            1. Hormones de stress de la mère
            2. Stimulations tactiles des foetus
        5. Conclusion sur le rôle des facteurs épigénétiques dans la période prénatale
      2. Période postnatale
        1. Immaturité des nouveau-nés
          1. Espèces nidifuges
          2. Espèces nidicoles
          3. Développement comportemental des nidicoles
        2. Privations d'expériences, expériences d'isolement ou déprivations
          1. Environnement physique postnatal précoce
            1. Développement de la fonction visuelle
              1. Développement de la spécificité directionnelle
              2. Développement de la binocularité
            2. Développement des barillets corticaux chez la souris
            3. Théorie de stabilisation sélective de Changeux
              1. Différentes phases de l'évolution neuronale
                1. Phase de croissance ou de prolifération : programme génétique de croissance
                2. Phase de réaménagement synaptique
                3. Phase de mort neuronale
              2. Conséquences fonctionnelles
                1. Explication du développement de la spécificité directionnelle visuelle
                2. Généralisation à l'homéostasie sensorielle
          2. Environnement social postnatal précoce
            1. Privation sociale chez le Macaque rhésus
            2. Privation sociale chez le chien
            3. Homéostasie sensorielle
            4. Rôle des partenaires sociaux
              1. Mère
              2. Fratrie et contemporains d'âge
              3. Adultes, moniteurs ou chien " thérapeutes "
              4. Homme
      3. Plasticité des comportements chez l'adulte
      4. Conclusion sur les facteurs épigénétiques
    3. Conclusion générale sur l'ontogenèse des comportements
  3. Périodes du développement comportemental du chien et du chat
    1. Généralités
    2. Enjeux
    3. Périodes
      1. Période prénatale du chien et du chat
      2. Période néonatale du chien et du chat
      3. Période de transition du chien et du chat
      4. Période de socialisation du chien et du chat
      5. Période juvénile du chien
    4. Différences de développement comportemental entre le chien et le chat
  4. Processus particuliers
    1. Période sensible
    2. Comportement maternel
    3. Empreinte ou imprégnation
    4. Attachement
    5. Autonomie des jeunes
    6. Socialisation
      1. Socialisation intraspécifique
      2. Socialisation interspécifique
    7. Homéostasie sensorielle
    8. Acquisition des autocontrôles
    9. Détachement
  5. Développement comportemental du chien
  6. Développement comportemental du chat
  7. Troubles du développement comportemental du chien et du chat
  8. Prévention des troubles du développement comportemental du chien et du chat

Bibliographie

L'environnement postnatal influence le comportement ultérieur des individus en fonction de plusieurs facteurs :

  • l'immaturité plus ou moins importante des nouveau-nés (espèces nidifuges et nidicoles) ;
  • les expériences postnatales précoces par :
    • influence de l'environnement physique (environnement physique postnatal précoce),
    • l'influence de l'environnement social (environnement social postnatal précoce) ;
  • les expériences plus tardives modifiant la plasticité comportementale de l'adulte.
Harry Harlow
Harry Harlow
(Photo : creativecommons.org/)

L'environnement prénatal modifie également de façon non négligeable le comportement ultérieur des individus.

Nous allons nous intéresser à l'influence de l'environnement social précoce en étudiant :

Les expériences de privations sociales précoces offrent une démonstration convaincante, sinon radicale, du rôle décisif de l'environnement social sur le développement comportemental du jeune.


Ces expériences, réalisées chez diverses espèces, aboutissent toujours à de graves perturbations touchant de nombreux comportements, mais aussi les caractéristiques réactionnelles et émotionnelles ultérieures.

Privation sociale chez le Macaque rhésus

Les expériences les plus célèbres dans ce domaine ont celles réalisées dans les années 60-70 par Margaret et Harry Harlow (1905-1981), un couple de psychologues sur le Macaque rhésus.

Ces découvertes sont plus ou moins fortuites. Comme de nombreux nouveau-nés mourraient de maladies infectieuses, Harlow décida de les séparer de leur mère à leur naissance pour les placer en isolement.

  • Il a la surprise de constater que les petits, qui possèdent une couverture dans la cage, s'y attachent et ont une plus grande résistance que les autres, placés dans une cage vide (mortalité au bout d'une semaine).
  • Il expérimentera alors de nombreuses situations avec des leurres ou substituts maternels (cf. plus bas).

Ses expériences visaient à étudier les conséquences de privations sociales précoces sur le développement du comportement social chez le Singe (Macaque rhésus).

Macaques rhésus en syndrome de privation
Macaques rhésus en syndrome de privation

Bien que capitales par les résultats fournis, leur éthique est fortement discutable. Malheureusement, à l'époque, l'opinion publique était moins sensible aux problèmes du respect de l'animal qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Une des faiblesses des expériences d'Harlow, est qu'elles : « induisent l'idée que l'attachement, chez les animaux, n'existe que dans l'enfance. Aucun modèle de l'attachement de l'animal adulte n'est proposé si ce n'est que comme simple prolongement mécanique de ce qui se met en place dans les premiers mois. Oui, les expériences montrent que sans attachement, dans l'enfance, les attchements ultérieurs s'avèrent presque impossibles ; mais cela ne nous dit rien des attachements ultérieurs, ils n'existent que virtuellement et comme s'ils étaient strictement déterminés et dans la pure continuité des attchements de l'enfance. Tout se passe comme si la capacité à s'attacher disparaissait complètement au fur et à mesure du déveleoppement. » Vinciane Despret dans " Il est temps d'en finir avec Harry Harlow " (in l'attachement)

Isolement total

Dans cette situation, les bébés singes étaient séparés de leur mère peu après leur naissance, puis placés dans des cage isolées, à l'abri de tout contact visuel, olfactif ou sonore avec des congénères de leur espèce, ceci pendant plusieurs mois.

Rapidement, les animaux ont présenté :

  • des comportements stéréotypés (activités substitutives ou stéréotypies) : balancements, secousses, sautillements ;
  • des comportements d'auto-agression : ils se griffaient et se mordaient, se cognaient la tête contre les parois de leur cage, bien que des tests aient montré qu'ils étaient parfaitement sensibles à la douleur.
Petit rhésus avec sa mère de substitution ou mère-leurre
Petit rhésus avec sa mère de substitution ou mère-leurre

Lorsque, vers 2-3 ans, ces animaux furent placés avec d'autres jeunes, ils présentèrent un comportement social extrêmement perturbé.

  • Ils étaient incapables de jouer et d'interagir avec congénères.
  • Ils restaient prostrés, adoptaient des postures figées traduisant la peur, la terreur.
  • Ces épisodes de prostration alternaient avec des épisodes d'agression extrême, sans retenue ni inhibition, et sans aucun signal préalable de menace.

Arrivés à l'âge adulte, leur comportement était toujours profondément perturbé. En particulier, les Harlow notèrent des perturbations :

Isolement partiel

La situation identique à la précédente, sauf que les bébés singes pouvaient voir et entendre d'autres singes, à défaut de pouvoir physiquement entrer en contact avec eux.

Malgré ces conditions d'isolement moins drastiques, les jeunes singes ont développé un syndrome comportemental comparable à celui des animaux totalement isolés.

Leurre ou substitut maternel et attachement

Dans cette dernière situation, les bébés singes étaient élevés avec un leurre maternel, pourvu d'une tétine.

  • Le premier était constitué d'un cylindre métallique recouvert d'un tissu en éponge et surmonté d'une " tête " en bois, avec de larges yeux et un générateur de chaleur.
  • L'autre était uniquement métallique, indépendamment, mais avec un visage, mais disposait également d'une tétine.
Jeune rhésus avec sa mère de substitution ou mère-leurre
Jeune rhésus avec sa mère de substitution ou mère-leurre

Les petits singes développèrent rapidement un attachement envers la mère artificielle recouverte de tissu.

  • Harlow démontra que le petit ne s'attache pas à sa mère parcequ'elle le nourrit.
  • Harlow s'aperçut également qu'après s'être rapproché de ce substitut, ils pouvaient explorer de nombreux objets présents dans la cage.
  • Le contact tactile est essentiel (" réconfort du contact ") dans l’attachement du jeune à sa mère ou pour lui permettre d'explorer l'environnement.


Les travaux des Harlow ont été primordiaux pour l'étude des processus de l'attachement. C’est en 1958 qu'il publia ces observations dans son article " The Nature of Love ".

Toutefois, même si certains petits réalisaient moins de comportements autocentrés, leur comportement social était encore très perturbé.

Conclusion

Aucune de ces situations ne remplit donc les conditions permettant un développement comportemental normal.


Il suffit que les jeunes singes puissent interagir une quinzaine de minutes par jour avec un congénère pour qu'ils ne développent pas de syndrome de privation et présentent ultérieurement un comportement social normal.

  • Au début, les jeunes singes ne font que se serrer dans les bras durant toute la période (15 min.).
  • Après quelques semaines, ils s'engagent dans des comportements de jeu.
  • Quelques années plus tard, William Mason a même montré que des jeunes singes, élevés avec une " mère " chienne, parvenaient à avoir un comportement social proche de la normale envers leurs congénères.


Ces données montrent l'importance du contact charnel, des interactions physiques directes, pour la socialisation et le développement psychoaffectif des jeunes.

Privation sociale chez le chien

Développement comportementalFacteurs génétiquesFacteurs épigénétiques
Périodes de développement comportemental du chien et du chat
Période prénatalePériode néonatalePériode de transition
Période de socialisation Période juvénile
Développement comportemental du chienDéveloppement comportemental du chat
Troubles du développement comportementalPrévention des troubles

Bibliographie

Melzack R., Scott T. - The effects of early experience on the response to pain. - J. comp. physio. psychol. 50, p. : 155-161, 1957

Hay M. - Ontogenèse des comportements - 3ème cycle professionnel des écoles nationales vétérinaires, Toulouse, 2000

Vaysse G., Médioni J. - L'emprise des gènes et les modulations expérentielles du comportement - Bios, Université Paul Sabatier, Privat, Toulouse, 1982

McFarland D. - Le comportement animal, psychobiologie, éthologie et évolution - De Boeck Université, Bruxelles, 613 p., 2001

Immelmann K. - Dictionnaire de l'éthologie - Pierre Mardaga Editeur, Liège, 296 p., 1990

Rosenzweig M.R., Leiman A.L., Breedlove S.M. - Psychobiologie  - DeBoeck Université, Bruxelles, 849 p., 1998