Citation
« Ce ne sont pas les organes, c'est-à-dire,
la nature et la forme des parties du corps d'un animal, qui ont donné
lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières
; mais ce sont, au contraire, ses habitudes, sa manière de vivre,
et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus
dont il provient, qui ont, avec le temps, constitué la forme de son
corps, le nombre et l'état de ses organes, enfin, les facultés
dont il jouit. »
Jean-Baptiste de Lamarck
Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), après avoir démontré que les espèces se transforment ( infos), explique la cause de ces transformations.
Lamarck pense, contrairement à Buffon ( infos), que les circonstances du milieu n'agissent pas sur les êtres vivants directement, mais influencent leurs habitudes, qui, à leur tour, modifient les organismes en développant ou en atrophiant des organes : cette théorie est décrite sous le nom la " théorie de l'usage ou du non-usage des parties ".
« Mais de grands changemens dans les circonstances amènent, pour les animaux, de grands changemens dans leurs besoins, et de pareils changemens dans les besoins en amènent nécessairement dans les actions. Or, si les nouveaux besoins deviennent constans ou très-durables, les animaux prennent alors de nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les ont fait naître. » Philosophie zoologique, : 220
«
Il n'est pas douteux qu'à l'égard des animaux, des changemens
importans dans les circonstances où ils ont l'habitude de vivre,
n'en produisent pareillement dans leurs parties ; mais ici les mutations
sont beaucoup plus lentes à s'opérer que dans les végétaux,
et, par conséquent, sont pour nous moins sensibles, et leur cause
moins reconnoissable.…
Or, le véritable ordre de choses qu'il s'agit
de considérer dans tout ceci, consiste à reconnoître :
1) que tout changement un peu considérable et ensuite maintenu
dans les circonstances où se trouve chaque race d'animaux, opère
en elle un changement réel dans leurs besoins ;
2) que tout changement dans les besoins des animaux nécessite
pour eux d'autres actions pour satisfaire aux nouveaux besoins et, par
suite, d'autres habitudes ;
3) que tout nouveau besoin nécessitant
de nouvelles actions pour y satisfaire, exige de l'animal qui l'éprouve,
soit l'emploi plus fréquent de telle de ses parties dont auparavant
il faisoit moins d'usage, ce qui la développe et l'agrandit considérablement,
soit l'emploi de nouvelles parties que les besoins font naître insensiblement
en lui, par des efforts de son sentiment intérieur ; ce que je prouverai
tout à l'heure par des faits connus…
Dans tout animal qui n'a point dépassé le terme de ses développemens,
l'emploi plus fréquent et soutenu d'un organe quelconque, fortifie
peu à peu cet organe, le développe, l'agrandit, et lui donne
une puissance proportionnée à la durée de cet emploi
; tandis que le défaut constant d'usage de tel organe, l'affoiblit
insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses
facultés, et finit par le faire disparoître.
Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus par l'influence des circonstances où leur race se trouve depuis long-temps exposée, et, par conséquent, par l'influence de l'emploi prédominant de tel organe, ou par celle d'un défaut constant d'usage de telle partie ; elle le conserve par la génération aux nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changemens acquis soient communs aux deux sexes, ou à ceux qui ont produit ces nouveaux individus.
Ce sont là deux vérités constantes qui ne peuvent être
méconnues que de ceux qui n'ont jamais observé ni suivi la
nature dans ses opérations, ou que de ceux qui se sont laissés
entraîner à l'erreur que je vais combattre.
Les naturalistes ayant remarqué que les formes des parties des animaux,
comparées aux usages de ces parties, sont toujours parfaitement en
rapport, ont pensé que les formes et l'état des parties en
avoient amené l'emploi : or, c'est là l'erreur ; car
il est facile de démontrer, par l'observation, que ce sont, au contraire,
les besoins et les usages des parties qui ont développé ces
mêmes parties, qui les ont même fait naître lorsqu'elles
n'existoient pas, et qui, conséquemment, ont donné lieu à
l'état où nous les observons dans chaque animal.
» Philosophie zoologique, p: 230 et suivantes
Lamarck en déduit que le milieu et les habitudes ont modelé les espèces par de petites variations transmissibles par l'hérédité : c'est ce que l'on appelle la " transmission des caractères acquis ". Cette théorie épigénétique revient à la mode à l'heure actuelle après avoir été jeté aux orties pendant près de deux siècles ( infos).
On peut en déduire que pour lui l'espèce, en tant que telle, n'est qu'une variété d'êtres vivants bien fixés. En fin de compte, les espèces ne sont que des productions de l'esprit de l'homme en un temps t, car elles sont en perpétuel changement.
« On sait que des lieux différens
changent de nature et de qualité, à raison de leur position,
de leur composition et de leur climat ; ce que l'on aperçoit facilement
en parcourant différens lieux distingués par des qualités
particulières ; voilà déjà une cause de variation
pour les animaux et les végétaux qui vivent dans ces divers
lieux. Mais ce qu' on ne sait pas assez, et même ce qu' en général
on se refuse à croire, c'est que chaque lieu lui-même change,
avec le temps, d'exposition, de climat, de nature et de qualité,
quoique avec une lenteur si grande par rapport à notre durée,
que nous lui attribuons une stabilité parfaite. Or, dans l'un et
l'autre cas, ces lieux changés changent proportionnellement les
circonstances relatives aux corps vivans qui les habitent, et celles-ci
produisent alors d'autres influences sur ces mêmes corps.
On sent de là que s'il y a des extrêmes dans ces changemens,
il y a aussi des nuances, c'est-à-dire, des degrés qui sont
intermédiaires et qui emplissent l'intervalle. Conséquemment,
il y a aussi des nuances dans les différences qui distinguent ce
que nous nommons des espèces. il est donc évident que toute
la surface du globe offre, dans la nature et la situation des matières
qui occupent ses différens points, une diversité de circonstances
qui est partout en rapport avec celle des formes et des parties des animaux,
indépendamment de la diversité particulière qui résulte
nécessairement du progrès de la composition de l'organisation
dans chaque animal. Dans chaque lieu où des animaux peuvent
habiter, les circonstances qui y établissent un ordre de choses restent
très-long-temps les mêmes, et n'y changent réellement
qu'avec une lenteur si grande que l'homme ne sauroit les remarquer directement.
Il est obligé de consulter des monumens pour reconnoître que
dans chacun de ces lieux l'ordre de choses qu' il y trouve n'a pas toujours
été le même, et pour sentir qu'il changera encore.
Les races d'animaux qui vivent dans chacun de ces lieux y doivent donc
conserver aussi longtemps leurs habitudes : de là pour nous l'apparente
constance des races que nous nommons espèces ; constance qui a fait
naître en nous l'idée que ces races sont aussi anciennes que
la nature. » Philisophie zoologique, p: 229-230
« La Nature, cet ensemble immense d'êtres et de corps divers, dans toutes les parties duquel subsiste un cercle éternel de mouvemens et de changemens que des lois régissent ; ensemble seul immutable, tant qu'il plaira à son SUBLIME AUTEUR de le faire exister, doit être considérée comme un tout constitué par ses parties, dans un but que son Auteur seul connoit, et non pour aucune d'elles exclusivement. Chaque partie devant nécessairement changer et cesser d'être pour en constituer une autre, a un intérêt contraire à celui du tout ; et si elle raisonne, elle trouve ce tout mal fait. Dans la réalité, cependant, ce tout est parfait, et remplit complètement le but pour lequel il est destiné. » Philisophie zoologique, p: 465-466
Quoi qu'en ait pensé notre cher Charles
Darwin (1809-1882) qui critiqua vertement Lamarck, sa théorie
n'était pas très éloignée de la sienne. Il le
reconnaît quand il écrit la fameuse lettre de 1844 à
Joseph
Dalton Hooker (
infos) : « Le
ciel me préserve des sottes erreurs de Lamarck, de sa " tendance
à la progression ", et des adaptations " dues
à la volonté des animaux ", etc. ; mais les
conclusions auxquelles je suis amené ne diffèrent pas beaucoup
des siennes, bien que les agents des modifications soient entièrement
différents. »
Jules Barthélemy-Saint Hilaire (1805-1895) écrit, en 1883, dans la préface de " l'Histoire des Animaux " d'Aristote ( infos).
«
Un zoologiste français, Lamarck, avait insisté, plus que personne
avant lui (1809), sur les variations que les diverses espèces d'animaux
subissent sous l'action continue des circonstances où ils sont placés.
Non moins aventureux dans sa philosophie zoologique que dans sa chimie,
Lamarck avait exagéré la variabilité de l'espèce
jusqu'à cette hypothèse de faire sortir d'une même et
seule origine tous les êtres vivants; les modifications, amenées
par la suite indéfinie des temps, se fixaient et se transmettaient
par l'hérédité, sans qu'il y eût de terme assignable
à la transformation et au perfectionnement.
Ces vues audacieuses avaient été évidemment suscitées
par les découvertes récentes de la paléontologie. Aussi,
Cuvier fut-il le premier à les combattre; il ne les discuta pas expressément,
parce qu'il ne les croyait pas dignes d'une réfutation scientifique.
Mais ces idées, indiquées plutôt qu'élucidées
par l'auteur, ne devaient pas périr de si tôt; favorisées
par le système de Geoffroy Saint-Hilaire sur l'unité de composition,
également repoussé par Cuvier, elles vécurent assez
obscurément dans le monde savant, jusqu'à ce que, reprises
et élargies par M. Darwin, elles y reparurent avec éclat et
y excitèrent un mouvement qui dure encore, et qui n'est pas près
de cesser. Entre Lamarck et Darwin, il y a cette différence très
notable que le premier admet résolument la génération
spontanée (Archigonie), et que le second, dont le coeur était
fort religieux, croit à l'action primordiale d'un Créateur,
qui a communiqué la vie à la matière, impuissante à
la produire par ses seules forces. Sauf ce dissentiment fondamental, le
Darwinisme, nommé aussi le Transformisme, n'est que la doctrine de
Lamarck, corroborée d'une masse énorme d'observations, qui
peuvent nous intéresser bien plutôt que nous convaincre. Supposer
que tous les êtres organisés, animaux et végétaux,
quelque diversifiées que leurs formes nous paraissent aujourd'hui,
viennent d'un premier germe, Sarcode et Protoplasma, c'est une sorte de
rêverie qui nous reporte aux théories puériles d'Empédocle,
victorieusement combattues par Aristote et chantées par Lucrèce,
ou à cette fantaisie non moins étrange de l'oeuf du monde,
imaginé par les Brahmanes. Quelle opinion le zoologiste grec aurait-il
eue du Transformisme, on peut se le figurer d'après ses ouvrages,
et aussi d'après la condamnation sévère qu'a prononcée
Cuvier.
Il faut se dire, d'ailleurs, que le Transformisme est un problème
de cosmogonie, et non de zoologie ; la preuve, c'est qu'il s'appuie surtout,
comme le remarque Littré, sur l'embryogénie et sur la paléontologie.
Quelque idée qu'on se forme de l'origine des choses, la
zoologie n'a pas à se prononcer sur ces obscurités impénétrables,
qui se perdent dans la nuit des siècles écoulés; elle
doit se borner au spectacle actuel que nous offre la nature, assez varié
et assez clair pour satisfaire notre curiosité et notre science.
Le seul avantage du Transformisme, si c'en est un, c'est de tenter
de refaire l'échelle des êtres un peu plus régulièrement
qu'on n'avait pu l'établir jusqu'ici. Des Protozoaires aux
Protistes et à l'homme, toute l'animalité semble se tenir
par une série sans lacunes, à laquelle on compte sans doute
rattacher plus tard et la botanique et la minéralogie, si, pour le
moment, on doit s'en tenir provisoirement aux êtres animés.
»
Dans " l'oeuvre de Lamarck " écrit en 1913 ( infos), Félix Le Dantec résume les critiques des darwinistes :
« Si Lamarck a fait preuve d’un
génie prodigieux en inaugurant le système transformiste, il
a été peut-être plus extraordinaire encore en trouvant,
du premier coup, les lois fondamentales de l’évolution des
êtres vivants, et en écartant immédiatement les phénomènes
secondaires qui ont égaré Darwin et ses disciples.
On trouvera (au chapitre VII de la Philosophie zoologique), l’énoncé
des deux principes qui expliquent toute l’histoire des lignées
vivantes. Le premier est le principe du développement des organes
par l’habitude ; le second est celui de la transmission héréditaire
des caractères acquis par le fonctionnement habituel. Il est permis
de dire que ces deux principes résument toute la Biologie. On en
a cependant nié la valeur :
1° Des transformistes avérés ont dit que les deux principes
de Lamarck sont insuffisants, et qu’il leur en faut ajouter de nouveaux
;
2° D’autres naturalistes, qui, cependant, se croient transformistes,
ont nié, non pas la puissance explicative, mais la vérité
même des principes de Lamarck ;
3° Enfin, tout récemment, on a voulu établir que l’évolution
des espèces procède par bonds, et que les variations lentes
étudiées par Lamarck n’ont aucune valeur comme agents
de transformation spécifique. »
Vous pouvez lire les réponses qu'il donne à toutes ses critiques.
Connaissances
au XIXeEvolutionnismeAntiquitéMoyen
AgeBuffon
Erasmus
DarwinGeoffroy
Saint-HilaireLamarckTransformisme
de Lamarck
Charles Darwinl'Origine
des EspècesThéorie
de l'évolution
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phylogénétique
Systématique
génétiqueFixisme