Transformisme et évolutionnisme
Charles Darwin et l'Origine des Espèces

C'est en 1859 que Charles Darwin (1809-1882) fit paraître le « maudit livre » qui l'a « presque tué » : " l'Origine des Espèces ".

Rédaction de l'Origine des Espèces

En 1842, Darwin écrit un résumé de sa théorie de l'évolution en seulement 35 pages, et en 1844, un exposé plus conséquent de 230 pages ( infos).

Cet exposé est certainement lié à la parution de " Vestiges of the natural history of creation " de Robert Chambers (1802-1871) en 1844 ( infos) qui en donnera une explication en 1845 ( infos).

La lettre qu'il écrit en janvier 1844 à Joseph Dalton Hooker (1817-1911) est restée célèbre pour sa phrase : « les espèces ne sont pas immuables (je me fais l'effet d'avouer un meurtre) » ( infos).

« A part l'intérêt général que j'éprouve pour les contées du Sud, j'ai été absorbé depuis mon retour par un travail des plus présomptueux en fait, je ne connais personne qui ne dût le déclarer déraisonnable. J'ai été tellement frappé par la distribution des organismes des Galapagos etc., et du caractère des mammifères fossiles d'Amérique etc., que je me suis décidé à collectionner aveuglément tous les faits qui se rapportent en quelque façon aux espèces. J'ai lu des monceaux de livres d'agriculture et d'horticulture, et je n'ai jamais cessé de collectionner les faits. Des rayons de lumière sont enfin venus, et je suis presque convaincu (contrairement à l'opinion que j'avais au début) que les espèces ne sont pas immuables (je me fais l'effet d'avouer un meurtre). Le ciel me préserve des sottes erreurs de Lamarck, de sa " tendance à la progression " , et des adaptations " dues à la volonté des animaux ", etc. ; mais les conclusions auxquelles je suis amené ne diffèrent pas beaucoup des siennes, bien que les agents des modifications soient entièrement différents. Je pense que j'ai trouvé (c'est ici qu'est la présomption) la manière très simple par laquelle les espèces s'adaptent parfaitement à des fins variées. Vous allez gémir, et vous vous direz intérieurement " Est-il possible que j'aie perdu mon temps à écrire à pareil homme ? " J'aurais pensé de même il y a cinq ans. »

En 1856, sous l'impulsion de Charles Lyell (1797-1875), Darwin commence à écrire sa théorie d'une manière extrêmement détaillée (« trois à quatre fois plus imposante que celle qui a suivi »).

Le travail est laborieux et Darwin doute à certains moments : « Je suis le chien le plus misérable, le plus embourbé, le plus stupide de toute la Grande-Bretagne, et je suis prêt de pleurer d’ennui sur mon aveuglement et ma présomption. Il y a de quoi me faire déchirer mon manuscrit et tout planter là en désespoir de cause. »

Darwin et Wallace

En 1857, Darwin échange quelques lettres ( infos) avec Alfred Russel Wallace (1823-1913). En juin 1858, il reçoit son manuscrit " On the Tendency of Varieties to depart indefinitely from the Original Type " (Sur la tendance des variétés à s'écarter indéfiniment du type original). Darwin dira que « ce manuscrit contenait une théorie exactement identique à la mienne ». Wallace lui demande de faire parvenir son texte à Lyell s'il « pensait du bien de son essai » .

Toute l'oeuvre de Wallace peut être consultée en ligne ( infos). Entre 1854 et 1862, Alfred Russel Wallace parcourut la Malaisie et l'Indonésie pour étudier la faune et récolter des échantillons d'animaux, surtout des oiseaux et des insectes. Il lut également le traité de Malthus. Il émit l'hypothèse d'une ligne de démarcation appelée aujourd'hui " ligne Wallace " entre les populations de part et d'autre de deux zones biogéographiques, l'indo-malaise à l'ouest et australlenne à l'est ( infos). Ces études lui permettront d'arriver aux mêmes conclusions que Darwin.

Darwin écrit immédiatement à Lyell ( infos) : « Je n’ai jamais vu de coïncidence plus frappante ; si Wallace avait eu le manuscrit de mon esquisse écrite en 1842, il n’aurait pu en faire un meilleur résumé. Ses propres termes sont les titres de mes chapitres. Je vous prie de me renvoyer le manuscrit : il ne me dit pas qu’il désire le publier, mais naturellement je lui écirai et je lui offrirai de l’envoyer à n’importe quel journal. De la sorte, toute mon originalité, quelle qu’elle puisse être, va se trouver anéantie bien que mon livre, s’il a jamais quelque valeur, n’en doive aucunement souffrir, car tout le travail consiste dans l’application de la théorie. J’espère que vous approuverez l’esquisse de Wallace et que je pourrai lui dire ce que vous en pensez. »

Présentation de l'Origine des Espèces devant la société linnéenne (1858)

Après bien des hésitations ( infos) et un échange de courrier avec Lyell ( infos), Darwin décida, en accord avec Lyell et Hooker, de joindre au document de Wallace un résumé de son esquisse de 1844 et une lettre qu'il avait adressée à Asa Gray (1810-1888) en septembre 1857 ( infos).

« Comme je n’avais aucune intention de publier une esquisse ; puis-je le faire honnêtement maintenant que Wallace m’a envoyé un aperçu de sa doctrine ? Mais il m’est impossible de discerner si en publiant maintenant je n’agirais pas d’une façon vile et mesquine.  »

« Je pensais que M. Wallace pouvait trouver mon procédé injustifiable : je ne savais pas alors combien noble et généreux est son caractère. » Autobiographie

La présentation a lieu le 1er juillet 1858 par Lyell et Hooker devant la Linnean Society ( infos).

Il semble que Hooker est exagéré la portée de la publication commune en écrivant : « L’intérêt provoqué fut considérable » car Darwin écrit dans son autobiographie : « Néanmoins, nos productions communes ont suscité très peu d'attention, et le seul avis publié donti je peux me rappeler fut celui du professeur Haughton de Dublin, dont le jugement fut que tout ce qui était nouveau en elles était faux, et ce qui était ancien était vrai. »

En septembre 1858, Darwin se remit au travail et résuma le travail commencé : il publie, chez l'éditeur John Murray, en novembre 1859 son " Origine des Espèces " après « treize mois et dix jours de travaux forcés ».

Succès et polémiques autour de l'Origine des Espèces

Ce livre qui est « sans aucun doute, le principal travail de ma vie » est une réussite de librairie, traduit en de nombreuses langues : « Un texte en hébreu est même paru sur ce sujet, montrant que la théorie est contenue dans l'Ancien Testament ! »

Darwin écrit : « Le succès de " Origine " peut, je pense, être attribuée en grande partie au fait que beaucoup de temps a passé avant que j'écrive deux esquisses condensées, et d'avoir finalement résumé un plus grand manuscrit, qui est lui-même un résumé. Par ce moyen, j'ai été en mesure de sélectionner les faits et les conclusions les plus saisissantes. J'ai, également, durant de nombreuses années, suivi une règle d'or, à savoir que chaque fois que la publication d'un fait, d'une nouvelle observation ou d'une nouvelle pensée était en contradiction avec mes résultats, j'en faisais une note sans faute et immédiatement ; car mon expérience a montré que de tels faits et pensées sont bien plus de nature à échapper de la mémoire que ceux qui sont favorables. En raison de cette habitude, très peu d'objections ont été soulevées à l'encontre de mon point de vue que je n'avais au moins remarquées et tenté d'y répondre.
Il a parfois été dit que le succès de " l'Origine " prouve " que le sujet était dans l'air ", ou " que les esprits étaient préparés " Je ne pense pas que cela soit strictement exact, car j'ai sondé à l'occasion quelques naturalistes, et je n'en ai jamais trouvé un seul qui semble douter de la pérennité des espèces. Même Lyell et Hooker, bien qu'ils m'écoutent avec intérêt, ne semblaient jamais partager mon opinion. J'ai essayé une fois ou deux fois d'expliquer aux personnes compétentes ce que je voulais dire par Sélection Naturelle, mais je n'ai manifestement pas réussi. »

Darwin a beaucoup été critiqué pour ce livre mais, il écrit qu'il se consolait, même quand il était ridiculisé : « J'ai travaillé aussi dur et aussi bien que je le pouvais, et personne n'a pu faire plus que cela… Je ne pouvais pas employer ma vie d'une meilleure manière qu'en contribuant humblement à l'avancée des Sciences naturelles. C'est ce que j'ai fait au mieux de mes capacités, et les critiques peuvent dire ce qu'ils veulent, mais ils ne peuvent pas détruire cette conviction. »

Thomas Henri Huxley (1825-1895), surnommé " le bouledogue de Darwin " ( infos), a d'ailleurs écrit un portrait élogieux de Louis Pasteur (1822-1895) en disant que ses « travaux avaient plus rapporté à la France que l'indemnité de guerre. »

En Angleterre, Huxley - vous pouvez lire une bibliographie assez complète en anglais ( infos) - a défendu son mentor dans une bataille célèbre avec l'évêque anglican d'Oxford. Ce dernier lui demanda si ses ancêtres étaient des singes ou des guenons. Huxley répondit : « Je l'ignore, mais cette parenté n'a rien qui me puisse choquer, car je préfère avoir pour aïeul un singe plutôt qu'un homme qui se mêle de résoudre des questions auxquelles il ne comprend rien. »

Il lui écrit dans une lettre de 23/11/1859 : « J'ai l'espoir que vous ne vous laisserez pas dégoûter ou abattre par les nombreuses injures et les mésinterprétations qui, si je ne me trompe, vous sont réservées. N'oubliez pas que vous avez le droit à la reconnaissance éternelle de tous ceux qui pensent. Quant aux roquets qui aboieront et grogneront, rappelez-vous que certains de vos amis, en tout cas, sont doués d'une somme de combativité qui (bien que vous l'ayez souvent et à juste titre blâmée) peut vous être d'une réelle utilité J'aiguise bec et ongles en prévision de l'avenir. » ( infos)

Charles Darwin après la parution de l'Origine des Espèces

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