Citation
« Le chien, cette espèce tellement dévouée
à la nôtre, que les individus mêmes semblent avoir sacrifié
leur moi, leur intérêt, leur sentiment propre. »
Cuvier
Georges-Louis
Leclerc, comte de Buffon (1707-1788) est l'auteur d’une
Histoire naturelle, générale et particulière, publiée
en 36 volumes entre 1749 et 1788.
Ses contributions à l'évolutionnisme sont contenues, entre autres, dans " histoire naturelle, générale et particulière avec la description du cabinet du Roi, Tome Quatorzième " et, en particulier dans les causes de la dégénération ( infos).
Vous pouvez visionner les planches coloriées de Buffon sur les animaux quadrupèdes du service de documentation de l'Université de Strasbourg. Je la remercie vivement de m'avoir permis d'illustrer cette page ( infos).
«
Le chien, le loup, le renard, le chacal et l’isatis forment un autre
genre, dont chacune des espèces est réellement si voisine
des autres et dont les individus se ressemblent si fort, sur-tout par la
conformation intérieure et par les parties de la génération,
qu’on a peine à concevoir pourquoi ces animaux ne produisent
point ensemble ; il m’a paru par les expériences que j’ai
faites sur le mélange du chien avec le loup et avec le renard, que
la répugnance à l’accouplement venoit du loup et du
renard plutôt que du chien, c’est-à-dire, de l’animal
sauvage et non pas de l’animal domestique ; car les chiennes que j’ai
mises à l’épreuve, auroient volontiers souffert le renard
et le loup, au lieu que la louve et la femelle renard n’ont jamais
voulu souffrir les approches du chien ; l’état de domesticité
semble rendre les animaux plus libertins, c’est-à-dire moins
fidèles à leur espèce ; il les rend aussi plus chauds
et plus féconds, car la chienne peut produire et produit même
assez ordinairement deux fois par an, au lieu que la louve et la femelle
renard ne portent qu’une fois dans une année ; et
il est à présumer que les chiens sauvages, c’est-à-dire,
les chiens qui ont été abandonnés dans des pays déserts,
et qui se sont multipliés dans l’île de Juan-Fernandes,
dans les montagnes de Saint-Domingue, etc. ne produisent qu’une fois
par an comme le renard et le loup ; ce fait, s’il étoit constaté,
confirmeroit pleinement l’unité du genre de ces trois animaux,
qui se ressemblent si fort par la conformation, qu’on ne doit attribuer
qu’à quelques circonstances extérieures leur répugnance
à se joindre.
Le chien paraît être l’espèce moyenne et commune
entre celles du renard et du loup ; les Anciens nous ont transmis comme
deux faits certains, que le chien dans quelques pays et dans quelques circonstances
produit avec le loup et avec le renard. J’ai voulu le vérifier,
et quoique je n’aie pas réussi dans les épreuves que
j’ai faites à ce sujet, on n’en doit pas conclure que
cela soit impossible ; car je n’ai pu faire ces essais que sur des
animaux captifs, et l’on sait que dans la plupart d’entr’eux
la captivité seule suffit pour éteindre le désir et
pour les dégoûter de l’accouplement, même avec
leurs semblables ; à plus forte raison cet état forcé
doit les empêcher de s’unir avec des individus d’une espèce
étrangère ; mais je suis persuadé que dans l’état
de liberté et de célibat, c’est-à-dire, de privation
de sa femelle, le chien peut en effet s’unir au loup et au renard,
sur-tout si devenu sauvage, il a perdu son odeur de domesticité,
et s’est en même temps rapproché des moeurs et des habitudes
naturelles de ces animaux. Il n’en est pas de même de l’union
du renard avec le loup, je ne la crois guère possible ; du moins
dans la nature actuelle le contraire paroît démontré
par le fait, puisque ces deux animaux se trouvent ensemble dans le même
climat et dans les mêmes terres, et que se soutenant chacun dans leur
espèce sans se chercher, sans se mêler, il faudroit supposer
une dégénération plus ancienne que la mémoire
des hommes pour les réunir à la même espèce :
c’est par cette raison que j’ai dit que celle du chien étoit
moyenne entre celles du renard et du loup, elle est aussi commune puisqu’elle
peut se mêler avec toutes deux ; et si quelque chose pouvoit indiquer
qu’originairement toutes trois sont sorties de la même souche
; c’est ce rapport commun qui rapproche le renard du loup, et me paroît
en réunir les espèces de plus près que tous les autres
rapports de conformité dans la figure et l’organisation. Pour
réduire ces deux espèces à l’unité, il
faut donc remonter à un état de nature plus ancien : mais
dans l’état actuel, on doit regarder le loup et le renard comme
les tiges majeures du genre des cinq animaux que nous avons indiqués
; le chien, le chacal et l’isatis n’en sont que les branches
latérales, et elles sont placées entre les deux premières
; le chacal participe du chien et du loup, et l’isatis du chacal et
du renard : aussi paroit-il par un assez grand nombre de témoignages,
que le chacal et le chien produisent aisément ensemble ; et l’on
voit par la description de l’isatis et par l’histoire de ses
habitudes naturelles, qu’il ressemble presqu’entièrement
au renard par la figure et par le tempérament, qu’il se trouve
également dans les pays froids ; mais qu’en même temps
il tient du chacal le naturel, l’aboiement continu, la voix criarde
et l’habitude d’aller toujours en troupe. Le chien de berger,
que j’ai dit être la souche première de tous les chiens,
est en même temps celui qui approche le plus de la figure du renard
; il est de la même taille, il a comme lui, les oreilles droites,
le museau pointu, la queue droite et traînante ; il approche aussi
du renard par la voix, par l’intelligence
et par la finesse de l’instinct ; il se peut donc que ce chien soit
originairement issu du renard, sinon en ligne droite, au moins en ligne
collatérale. Le chien, qu’Aristote
appelle canis-laconicus, et qu’il assure provenir du mélange
du renard et du chien, pourroit bien être le même que le chien
de berger, ou du moins avoir plus de rapport avec lui qu’avec aucun
autre chien : on seroit porté à imaginer que l’épithète
laconicus qu’Aristote n’interprète pas, n’a été
donnée à ce chien que par la raison qu’il se trouvoit
en Laconie, province de la Grèce, dont Lacédémone étoit
la ville principale ; mais si l’on fait attention à l’origine
de ce chien Laconic, que le même Auteur dit venir du renard et du
chien, on sentira que la race n’en étoit pas bornée
au seul pays de Laconie, et qu’elle devoit se trouver également
dans tous les pays où il y avoit des renards, et c’est ce qui
me fait présumer que l’épithète laconicus pourroit
bien avoir été employée par Aristote dans le sens moral,
c’est-à-dire pour exprimer la briéveté ou le
son aigu de la voix ; il aura appelé chien laconic, ce chien provenant
du renard, parce qu’il n’aboioit pas comme les autres chiens,
et qu’il avoit la voix courte et glapissante comme celle du renard
: or notre chien de berger est le chien qu’on peut appeler laconic
à plus juste titre ; car c’est celui de tous les chiens dont
la voix est la plus brève et la plus rare ; d’ailleurs, les
caractères que donne Aristote à son chien laconic conviennent
assez au chien de berger, et c’est ce qui a achevé de me persuader
que c’étoit le même chien ; j ’ai cru devoir rapporter
les passages d’Aristote
en entier, afin qu’on juge si ma conjecture est fondée. »
Tome XIV p : 350
« Le genre des animaux cruels est l’un des plus nombreux et des plus variés ; le mal semble, ici comme mme espèces isolées, sont en première ligne ; toutes les autres, savoir, les panthères, les onces, les léopards, les guépards, les lynx, les caracals, les jaguars, les cougars, les ocelots, les servals, les margais et les chats ne font qu’une même et méchante famille, dont les différentes branches se sont plus ou moins étendues, et ont plus ou moins varié suivant les différens climats : tous ces animaux se ressemblent par le naturel, quoiqu’ils soient très-différens pour la grandeur et par la figure ; ils ont tous les yeux étincelans, le museau court, et les ongles aigus, courbés et rétractibles ; ils sont tous nuisibles, féroces, indomptables ; le chat qui en est la dernière et la plus petite espèce, quoique réduit en servitude, n’en est ni moins perfide ni moins volontaire ; le chat sauvage a conservé le caractère de la famille ; il est aussi cruel, aussi méchant, aussi déprédateur en petit, que ses consanguins le sont en grand ; ils sont tous également carnassiers, également ennemis des autres animaux. L’homme avec toutes ses forces n’a jamais pu les détruire ; on a de tout temps employé contre eux le feu, le fer, le poison, les pièges ; mais comme tous les individus multiplient beaucoup, et que les espèces elles-mêmes sont fort multipliées, les efforts de l’homme se sont bornés à les faire reculer et à les resserrer dans les déserts, dont ils ne sortent jamais sans répandre la terreur et causer autant de dégât que d’effroi ; un seul tigre échappé de sa forêt suffit pour alarmer tout un peuple et le forcer à s’armer, que seroit-ce si ces animaux sanguinaires arrivoient en troupe, et s’ils s’entendoient comme les chiens sauvages ou les chacals dans leurs projets de déprédation ? La Nature a donné cette intelligence aux animaux timides, mais heureusement les animaux fiers sont tous solitaires ; ils marchent seuls et ne consultent que leur courage, c’est-à-dire, la confiance qu’ils ont en leur force. Aristote avoit remarqué avant nous, que de tous les animaux qui ont des griffes, c’est-à-dire, des ongles crochus et rétractibles, aucun n’étoit social, aucun n’alloit en troupe : cette observation qui ne portoit alors que sur quatre ou cinq espèces, les seules de ce genre qui fussent connues de son temps, s’est étendue et trouvée vraie sur dix ou douze autres espèces qu’on a découvertes depuis ; les autres animaux carnassiers, tels que les loups, les renards, les chiens, les chacals, les isatis, qui n’ont point de griffes, mais seulement des ongles droits, vont pour la plupart en troupes, et sont tous timides et même lâches. »
Buffon naturalisteDe la dégénération des animauxBuffon évolutionniste